Evaluation intellectuelle des enseignants:Regards croisés de Thierry Dovonou et Mathurine Sossoukpè
Par Mathilde Sabi
Evaluation intellectuelle des enseignants
{{Regards croisés de Thierry Dovonou et Mathurine Sossoukpè
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{{ {Prévue pour le samedi 12 janvier dernier sur toute l’étendue du territoire national, l’évaluation diagnostique et intellectuelle des enseignants du secondaire n’a pas connu d’engouement dans la plupart des communes du Bénin. Mathurine Sossoukpè, générale adjointe de la confédération Syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB) et Thierry Dovonou, secrétaire Général du Syndicat National des professeurs Permanant et Contractuels (SyNaPPeC- Bénin) semblent être divisés sur l’opportunité de cette évaluation.
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« Un enseignant ne décide pas de l’opportunité d’une action gouvernementale » dixit Thierry Dovonou
L’Informateur: Vous aviez appelé vos collègues enseignants à se rendre dans les centres de composition pour l’évaluation initiée par le gouvernement, le week-end dernier. Mais à l’arr
ivée, on a constaté que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs car cette évaluation a été boycottée dans la plupart des communes. Pensez-vous que cette évaluation était opportune ?
Thierry Dovonou : D’après les normes, un responsable syndical ou un enseignant ne décide pas de l’opportunité d’une action gouvernementale. Retenez que l’évaluation a été retenue en Conseil des Ministres et cela devient une action gouvernementale. Ainsi, toute personne s’opposant à une action gouvernementale est de facto un opposant. Oui nous avions vu des syndicats appelés au boycott et nous connaissons même une centrale qui a appelé au boycott. Cette centrale est un outil d’un parti politique et on ne leur dénie pas le droit d’être. Si on affirme qu’aujourd’hui que le boycott a réussi, c’est parce qu’un certain nombre de choses ont été faites et surtout, il y a eu beaucoup de manipulations et de menaces et reconnaissons aussi que la gestion de la dernière grève en a été pour beaucoup.
Quelles sont les raisons qui ont motivé votre soutien à cette évaluation?
Nous avions composé pour la simple raison que nous sommes des enseignants et d’abord il y a le devoir d’obéissance. Lorsqu’on dit quelque chose qui ne viole pas la constitution, qui ne viole pas les droits de l’homme, on y va. Mais au cas contraire, nous nous opposons à cela.
Que reprochent alors vos collègues protestataires à cette initiative du gouvernement ?
Il n’y a que ceux qui ont boycottés qui puissent dire quelque chose. Nous, nous avions exigé un certain nombre de choses qui ont été respectées. Nous avions demandé au Ministre si la dissertation de culture générale sort du cadre de l’éducation, l’après midi sera donc réservée au boycott mais le ministre nous a promis que ce ne serait pas le cas et il a respecté sa parole. Nous avions aussi demandé qu’on nous donne les thèmes de références élaboré depuis Novembre, et nous les avions reçus. Nous avions aussi souhaité qu’on sépare les Directeurs d’école, les conseillers pédagogiques, ce qui a été fait. Donc s’ils reprochent quelque chose d’autre au gouvernement, c’est à eux d’éclairer votre lanterne.
Craignent-ils quelque chose, selon vous ?
Je ne saurai vous dire s’ils craignent quelque chose. Moi je n’avais pas peur. Ils ont aussi dit la même chose mais pourtant ils n’ont pas composé. Donc c’est à vous-même de tirer vos conclusions. Les épreuves que mes militants et moi avions composées, je pense que nous allons sortir notre épingle du jeu. Les gens oublient souvent que nous enseignants, nous sommes des appelés. Nous sommes comme les prêtres. Mais nous sommes des prêtres du savoir et lorsqu’on nous dit venez faire quelque chose, nous devons le faire et de là donner l’exemple. On demande à l’enseignant de venir composer, il refuse, mais le soir, il évalue les élèves. Il a donc un problème là. Je ne sais vraiment pas ce qu’ils craignent mais c’est peut être pour camoufler leur niveau assez bas et ils ont peur qu’on découvre cela.
Que peut apporter cette évaluation au système éducatif béninois ?
Le Président de la République a un programme et il est élu sur la base de ce programme. C’est lui qui juge de ce qui est bon pour relever le système éducatif. Moi, en tant que technicien de l’éducation, je l’accompagne en lui donnant quelques conseils. Mais je ne peux en aucun cas changer sa politique gouvernementale. Je ne peux donc pas être contre, pour la seule raison que je ne suis pas un politicien, je suis un syndicat et le rôle du syndicat consiste à infléchir le mouvement dans l’intérêt de ses militants. La dernière grève a été mal gérée. Si la grève avait été gérée avec de l’orthodoxie qu’il fallait, le boycott n’aurait pas réussi comme c’est le cas maintenant. Nous déplorons d’ailleurs certaines autorités administratives qui manipulent les chiffres et lorsque vous manipulez les chiffres, vous allez tronquer la décision du Président de la République. Dans le secteur de l’éducation, on ne manipule pas les chiffres. Il faut les donner tels qu’ils présentent sur le terrain et je le dis toujours, pour prendre des décisions dans ce secteur il faut avoir trois éléments c'est-à-dire la connaissance du système depuis sa création, les données chiffrées et aussi la philosophie de l’éducation. Donc je demande à ceux qui fournissent les chiffres au Président, de fournir les chiffres justes.
Quel appel avez-vous à l’endroit des autorités et de vos collègues protestataires ?
Je demande au gouvernement de ne pas aller dans le sens où les gens l’attendent et de faire très attention. Pas de sanction à l’endroit des collègues qui ont boycotté. Il y en a qui l’ont fait par peur des représailles. Celui-là qui est menacé, si on le punit, ça ne servira à rien.
La sanction qu’on peut donner peut être une sanction positive pour ceux qui ont composé. D’abord, les vacataires qui ont composé, l’Etat peut les recruter d’office pour avoir faire acte de courage et pour avoir été disciplinés. En 1997 ou en 2007, il n’y avait pas de lois mais des recrutements ont été faits. Ensuite, les APE et les ACE qui ont composé, on peut aussi les récompenser.
Une première récompense peut passer par une bonification de grade. On leur donne un échelon pour avoir obéi à l’autorité et seul le Président Talon peut faire ce geste et personne ne peut l’en empêcher. Ou, on peut décorer tous ceux qui ont composé. Et, ils sauront que l’obéissance à l’autorité à un prix et ce n’est pas de l’obéissance aveugle. Ce qui est demandé devrait permettre d’améliorer le niveau du système éducatif. Mais tous ceux qui n’ont pas composé ne méritent pas d’être sanctionnés parce que beaucoup ne sont pas allés composer à cause des menaces. Maintenant si on identifiait ceux qui ont menacé, on peut leur appliquer les sanctionner. Le SyNaPPeC demande donc que les sanctions soient cette fois-ci positives. Une sanction positive à l’endroit d’un enseignant qui a composé permettra aux autres de se mettre au pas. Je demande donc aux responsables syndicaux d’essayer de se cultiver pour mieux cerner les contours du mot « enseignant ». On ne peut pas comparer le Niger où on a renvoyé des gens au Bénin. Nous savons ce qui s’est passé au Niger. Nous sommes allés là-bas. Au Bénin, ça ne passe pas comme ça. D’ailleurs, les épreuves qui ont été proposées, montrent pourtant qu’un enseignant moyen peut s’en sortir et tirer son épingle du jeu. Je demande aussi aux syndicalistes de former leurs militants. Je suis conscient que mon discours ne plait pas à beaucoup d’enseignants mais lorsque ça ne va pas, il faut le signaler.
{{« C’est arbitraire et vise du coup à écraser les enseignants » dixit Mathurine Sossoukpè}}
L’Informateur : Nous avons constaté que votre appel au boycott de l’évaluation a été entendu parce que sur l’ensemble du territoire national, l’évaluation a été boycottée dans plusieurs centres de composition. Dites nous que reprochez-vous à cette initiative du gouvernement ?
Mathurine Sossoukpè: D’entrer de jeu, je félicite tous les enseignants qui ont bravé toutes les menaces et intimidations pour respecter le mot d’ordre du boycott. Ce mot d’ordre de boycott a été suivi par les enseignants dans leur écrasante majorité pour trois raisons.
Premièrement, l’évaluation n’est pas prévue sous cette forme par aucun texte juridique, qu’il s’agisse de la législation scolaire ou des textes qui régissent la fonction publique dans notre pays. C’est donc arbitraire et vise du coup à écraser les enseignants, ils ont donc le devoir de restaurer ce qui doit être. Deuxièmement, aucun enseignant ne refuse l’évaluation mais à condition qu’elle soit faite par les corps de contrôle que sont les conseillers pédagogiques et les inspecteurs pendant qu’ils déroulent leurs activités pédagogiques en classe devant les élèves. C’est pour dire qu’on ne peut donc mesurer ce que le poisson sait faire que dans l’eau. Troisièmement, les rumeurs persistantes font état de ce que le Gouvernement voudrait licencier des milliers d’enseignants. Ce qui n’est pas exclu connaissant la nature du Gouvernement.
C’est un secret de polichinelle que l’école béninoise est depuis quelques années malade quand on se réfère surtout aux derniers résultats aux divers examens nationaux. Alors, ne pensez-vous pas que ces évaluations viennent à point pour corriger un temps soi peu cet état de chose ?
Effectivement, tout le monde s’accorde à dire que l’école béninoise est en crise. Mais de là, à prendre les enseignants pour les seuls responsables de la situation, nous disons non. Lorsqu’un système éducatif est malade, il faut prendre le temps de voir les différents éléments qui forment le système et voir l’état de décrépitude de chaque élément afin de proposer des solutions en tenant compte, bien sûr de l’orientation du système. Quelle est l’orientation de notre système aujourd’hui ? Tout porte à croire que les responsables du pays veulent faire de notre jeunesse des bêtes de somme pour continuer d’écraser sans qu’il n’y ait aucune réaction. Les éléments qui composent un système éducatif sont : le programme d’enseignement, les acteurs de l’école, le cadre logistique et celui institutionnel. On veut extirper de tout cet ensemble, les enseignants en les représentant comme les seuls responsables. C’est irresponsable de la part des institutions au niveau supérieur de l’école. Le programme non adapté à nos cultures ; tous les acteurs sont malades et il faut les guérir, surtout les enseignants frustrés et démotivés par les comportements successifs du Gouvernement face à leurs revendications.
Etes –vous impliqués dans l’organisation des évaluations?
Non, je ne suis pas impliquée dans l’organisation et je ne le revendique pas.
Quel appel avez-vous à l’endroit des autorités ?
L’essentiel, c’est que les autorités cessent les différentes intimidations contre les administratifs qui ont boycotté l’évaluation et qu’elles donnent satisfaction à toutes les revendications des travailleurs et des acteurs de l’école. Aussi, qu’elles ne tentent pas du tout la reprise de cette évaluation parce que l’échec sera cuisant ; qu’elles prennent le pourcentage de composition comme un échantillon sur lequel il faudra travailler pour déceler les insuffisances afin de proposer des renforcements de capacités de l’ensemble des enseignants s’il n’y a pas anguille sous roche. D’ailleurs, la première autorité est un professeur titulaire de chaire qui sait bien que pour une étude, on n’a pas besoin de prendre en compte toute la population concernée. Nous faisons aussi la concession à l’autorité en admettant que ceux qui ont composé sont les plus excellents.
Par Mathilde Sabi